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Palme d’or à l’unanimité il y a 60 ans : le Guépard, chef-d’œuvre immortel

Cinéma. 23 mai 1963, Luchino Visconti reçoit la Palme d’or du Festival international du film de Cannes pour l’adaptation du roman de Giuseppe Tomasi de Lampedusa. Avec, entre autres, Burt Lancaster, Alain Delon et Claudia Cardinale. Du tournage qui dura sept mois à la présence d’un fauve sur la Croisette, tout est démesuré, extravagant, brillant, spectaculaire. Récit.

Le 20 mai 1963, les badauds qui parcourent la Croisette à l’affût de quelques stars n’en croient pas leurs yeux. Un véritable guépard se prélasse sur la plage du Carlton sous les yeux attentifs de Luchino Visconti, Claudia Cardinale et Burt Lancaster. Alain Delon est un peu plus loin.

La surprise est de taille. La foule sidérée grossit tout en restant à distance. Les photographes ravis immortalisent la scène. Le coup de pub du producteur Goffredo Lombardo est réussi. Le Guépard, de Luchino Visconti, et son casting international de rêve sont présentés le soir même au palais des festivals… en attendant le verdict du jury présidé par Armand Salacrou, lors de la cérémonie de clôture du 23 mai.

Vieille aristocratie et bourgeoisie montante

Palme d’or à l’unanimité… Le Guépard, de Luchino Visconti, n’avait pas d’adversaire à sa taille. Huit et demi, de Federico Fellini, et les Oiseaux, d’Alfred Hitchcock, les deux seuls films qui auraient pu entraîner quelques discussions au sein du jury, étaient présentés hors compétition.

Quoi qu’il en soit, ce chef-d’œuvre monumental de plus de trois heures (195 minutes dans sa version cannoise) a passé l’épreuve du temps et, soixante ans après sa première mondiale, il reste une adaptation sublime, à plusieurs mains (Suso Cecchi D’Amico, Pasquale Festa Campanile, Enrico Medioli, Massimo Franciosa et, bien sûr, Visconti), du grand roman de Giuseppe Tomasi de Lampedusa, ramenée respectivement à 185, 171 et 161 minutes pour ses sorties 

talienne, européenne et américaine.

Lors de sa publication, le livre avait suscité des réactions dans la gauche italienne autour du Risorgimento, considéré par Antonio Gramsci comme une « révolution sans révolution ». Certains accusaient le roman d’attaquer le Risorgimento, d’autres appréciaient la lucidité de l’analyse de l’alliance, marquée d’immobilisme, entre la vieille aristocratie et la bourgeoisie montante.

« Nous étions les guépards, les lions, ceux qui les remplaceront seront les chacals, les hyènes »

L’histoire est vue à travers le personnage du prince Salina, dans lequel le réalisateur, aristocrate lui-même, semble se reconnaître, comme le dit Alain Delon : « Visconti s’est surtout penché sur le prince Salina, que jouait Burt Lancaster. Lui-même avait failli le jouer, et nous l’avions tous encouragé à le faire. Finalement, il n’a pas osé et sans doute est-ce mieux comme cela. Le prince, c’était lui. Le film est son autobiographie. Chaque geste que fait Lancaster, c’est lui, Visconti (1).   »

Si le cinéaste a abandonné l’idée de jouer le rôle, il avait pensé dans un premier temps à Marlon Brando, puis à Laurence Olivier. Finalement, la noblesse envoûtante de Burt Lancaster et son regard désenchanté l’ont convaincu. Face à la volubile gaîté et au cynisme de Tancrède (Delon), à la grâce lumineuse et naïve d’Angelica (Claudia Cardinale), à l’affairisme revanchard et mafieux du père d’Angelica (Paolo Stoppa), il laisse paraître une souffrance indicible devant la déliquescence du monde qui fut le sien et la nostalgie qu’il en retire.

Lucide et pessimiste, il définit en quelques mots un avenir désespérant : « Nous étions les guépards, les lions, ceux qui les remplaceront seront les chacals, les hyènes, et tous, tant que nous sommes, guépards, lions, chacals ou brebis, nous continuerons à nous prendre pour le sel de la terre. »

Visconti, partagé entre ses origines aristocratiques et ses engagements communistes, revient sur ce personnage fascinant : « J’épouse le point de vue de Lampedusa et, disons aussi, de son personnage, le prince Fabrizio. Le pessimisme du prince Salina l’amène à regretter la chute d’un ordre qui, pour immobile qu’il ait été, était quand même un ordre. Mais notre pessimisme se charge de volonté et, au lieu de regretter l’ordre féodal et bourbonien, il vise à établir un ordre nouveau. Comme le dit Lampedusa dans son roman : “Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout !” »

Symphonie tragique et douloureuse

Du tournage en 70 mm qui dura sept mois à la présence d’un fauve sur la Croisette, tout est démesuré, extravagant, brillant, spectaculaire. Costumes d’époque, décors grandioses, paysages magnifiques, reconstitutions somptueuses mettent magistralement en scène une Sicile désemparée par les émeutes et le déclin de l’aristocratie.

Visconti et ses chefs de poste, Mario Garbuglia (décors), Piero Tosi (costumes), sont à la tête d’une armée de plusieurs centaines de personnes, décorateurs, costumiers, coiffeurs, maquilleurs, jardiniers, peintres, staffeurs, sans oublier une équipe technique sous la responsabilité du directeur de la photographie, Giuseppe Rotunno, et un orchestre symphonique qui interprète la musique lyrique, mélancolique et ensorcelante de Nino Rota, en parfaite harmonie avec l’âpreté lumineuse et la beauté silencieuse de la campagne sicilienne.

Le film se termine par une longue séquence de près de 50 minutes, d’une splendeur absolue, dont chaque plan impressionne, chaque mouvement de caméra sidère : le bal. Tournée dans le magnifique palais Valguarnera-Gangi à Palerme, éclairée en partie par des bougies, avec plusieurs centaines de figurants, chorégraphiée par le danseur Alberto Testa, elle a demandé quarante nuits de tournage.

Le Guépard, symphonie tragique et douloureuse, représente pour Luchino Visconti, un tournant, qui voit l’engagement du militant communiste se fondre en une réflexion nostalgique de l’aristocrate milanais, admirateur de Marcel Proust, sur la recherche d’un monde perdu dont ses films historiques suivants continueront de se faire l’écho.

(1) Lire la revue Cinématographe, septembre-octobre 1984.
 

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