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« Les Barbares » de Julie Delpy

Le 8e film de Julie Delpy sonne comme une bonne claque aux préjugés. Dans le bourg de Paimpont, qui s’attend à accueillir des réfugiés ukrainiens, certains ne cachent pas leur dépit lorsqu’ils voient arriver des Syriens. Tout en pointant la solidarité à géométrie variable de la France, Julie Delpy réalise une galerie de portraits aussi caustique que jubilatoire. Et pose la question : qui sont les barbares ?

Michaël Mélinard, l'Humanité

Julie Delpy.jpgCinéaste et actrice, Julie Delpy a beaucoup filmé les rapports entre les différentes cultures, surtout ceux entre la France et les États-Unis, ses pays d’origine et d’adoption. Dans Les Barbares, elle se saisit avec humour de la problématique de l’accueil des réfugiés, en centrant son récit à Paimpont, un village breton. La bourgade s’apprête à recevoir en grande pompe des Ukrainiens. Mais dans l’offre migratoire, ils sont si demandés qu’il n’en reste plus de disponibles.

La France terre d’accueil a fait un excellent job. À la place arrive une famille de Syriens, moins prisés par les administrés. Si Joëlle, l’instit au grand cœur, leur ouvre grand les bras, tous les habitants ne montrent pas autant de bienveillance. Certains leur mettent même carrément des bâtons dans les roues. Ludique, bien écrit, Les Barbares choisit l’empathie pour évoquer ce qui rassemble, au-delà de nos différences. C’est souvent drôle, gentiment cruel et doté d’une dose salutaire d’autodérision.

D’où est venu le désir de réaliser un film sur l’échange de réfugiés ?

J’avais déjà commencé à écrire un scénario sur l’accueil de réfugiés syriens en France. Nous avions fait tout un travail de reportage et d’interviews mais nous avions du mal à monter le financement du film. Quand la guerre en Ukraine a éclaté, j’ai eu pas mal d’amis qui recevaient des Ukrainiens à Paris, en Pologne, au Portugal ou en Angleterre. Et c’est très bien.

Mais nous avions eu tellement de témoignages de gens confrontés à des frontières fermées, d’histoires de bateaux coulés, de gens passés par l’enfer, que ce deux poids, deux mesures avec, d’un côté, les réfugiés blonds aux yeux bleus et, de l’autre, les pas trop blonds et pas trop yeux bleus était vraiment terrible. Le racisme pèse dans cette thématique. Tout d’un coup, l’État français donne énormément d’argent pour recevoir des réfugiés ukrainiens alors qu’il n’en donnait quasiment pas pour des associations ou des ONG précédemment en charge de réfugiés originaires d’autres pays. La souffrance de certains peuples est à nos yeux moins importante que celle des autres. C’est affligeant et catastrophique, mais c’est hélas une réalité.

Pourquoi prenez-vous le parti de rire de cette situation ?

Le film n’est pas que drôle, mais j’avais envie de rire de ce racisme absurde et stupide. Les films politiques ou sociaux qui m’ont le plus marqué passaient par la satire. Cet humour me place devant un miroir qui m’amène à me dire que moi aussi, je peux être comme ça, moi aussi, il m’est arrivé d’avoir des idées préconçues. On est tous un peu ces personnages. C’est bien de se le rappeler et l’humour est la meilleure manière d’être ramené à cette réalité.

Le film interroge également la question du traitement médiatique des réfugiés…

Les financiers qui m’ont suivie ont été formidables, mais j’en ai rencontré d’autres qui m’ont dit des choses comme : « Pourquoi vos réfugiés ne foutent-ils pas plus la merde ? Pourquoi ce ne sont pas des mecs de l’État islamique ? » Dans 90 % des cas, les gens qu’on a interviewés avaient des métiers en Syrie avant de se retrouver ici, en famille, dans des situations précaires et difficiles.

Même si quelques jeunes sont venus seuls, ils ne sont qu’une minorité qui galère vraiment parce qu’ils ne sont pas les bienvenus. Il n’y a pas eu de fonds français pour aider ces réfugiés-là. Et la résistance d’une partie de la classe politique française qui veut les diaboliser est très violente. Plus on les diabolise, plus ils vont se mettre en retrait, s’enfermer dans des ghettos et être hors de la société au lieu d’en faire partie.

Que vous inspire la montée de l’extrême droite dans vos deux pays, la France et les États-Unis ?

Je la vois monter depuis des années. D’abord en France, avec sa progression très inquiétante et son passage de père en fille. Puis je l’ai vue au pouvoir aux États-Unis avec Trump pendant quatre ans. Ce n’est pas anodin. L’extrême droite érode la démocratie, remet en cause des droits que l’on croyait installés pour toujours et instaure des politiques qui peuvent vraiment détruire le pays. Beaucoup de gens se sont heureusement ressaisis mais tous ne réalisent pas à quel point Trump a fait du mal, aux États-Unis, aux droits des femmes et des minorités.

C’est en plus d’une bêtise profonde. Par exemple, des Iraniens ont été interdits de territoire. Parmi eux, il y avait beaucoup de médecins spécialisés. Des zones entières s’en sont retrouvées privées et des patients devaient faire 800 kilomètres pour voir un endocrinologue. L’Angleterre est à cran depuis le Brexit. Giorgia Meloni est en train de détruire la société italienne. En Hongrie, n’en parlons pas. Je comprends le sentiment de ras-le-bol, mais Trump n’a eu qu’un effet négatif. Personne n’y gagne, surtout pas ceux qui ont voté pour lui.

Certains pensent que les solutions sont faciles et qu’en mettant tous les étrangers dehors, il n’y aura plus de problème. Mais c’est stupide. En Amérique, le vrai problème est le capitalisme à outrance. Les gens ne veulent pas l’entendre. Je gagne ma vie, mais des millions de personnes n’ont rien dans cette société où il n’y a pas la Sécurité sociale, pas d’aide pour les soins médicaux. Certains perdent leur maison parce qu’ils ont dû payer les soins du cancer de leur conjoint. C’est un cauchemar. L’Amérique est rentrée dans un système qui se désagrège. Les rues de Los Angeles sont hallucinantes de pauvreté. En fait, je ne vois pas de solution. Mais elle ne réside certainement pas dans le fascisme.

Comment réagissez-vous à la dénonciation récente des violences sexuelles et sexistes dans le milieu du cinéma ?

Je suis plutôt étonnée que ça ne se soit pas fait avant. C’est un trajet personnel important pour celles qui l’ont fait. Ces violences m’ont toujours horrifiée. À 18 ans, j’en ai parlé dans une interview pour dire à quel point c’était dégoûtant. Le journal, que je ne veux pas citer, m’a traitée d’actrice bourgeoise moraliste. À l’époque, les médias n’étaient pas prêts pour ces histoires.

De génération en génération, beaucoup de gens ont souffert de ce système bien rodé. En me braquant contre, j’en ai payé le prix. Je n’ai pas eu certains rôles. Tout en étant victimes, des femmes ont accepté ce système qui leur ouvrait des portes. Je suis passée pour une emmerdeuse parce que je n’acceptais pas certaines conditions. Cette époque est heureusement révolue. J’espère qu’on n’y reviendra pas.

Est-ce pour contourner ce système que vous êtes devenue cinéaste ?

Oui, je préférais écrire que de coucher avec des types horribles de 30 ans de plus que moi. En écrivant des scénarios et en réalisant des films, je devenais ma propre muse. Je détestais les réalisateurs qui voulaient un pot vide pour les remplir de leurs fantasmes. Je n’ai pas besoin d’eux pour exister.

Les Barbares, de Julie Delpy, 1 h 41, France, en salle le 18 septembre.

CRITIQUE DU FILM TELERAMA

Pour Samuel Douhaire, le comique fonctionne bien grâce à des personnages bien troussés et bien joués (Sandrine Kiberlain, Laurent Laffite). Mais ces personnages bien campés ne suffisent pas pour Marie Sauvion qui regrette que le scénario délaisse le rôle des réfugiés : « C’est vraiment des personnages prétexte, l’humour ne vient jamais d’eux. » Fable caustique réussie pour l’un, comédie politique ratée pour l’autre, nos critiques sont partagés.

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