Dans son dernier long métrage « le Grand Déplacement », l’acteur et réalisateur imagine qu’une agence spatiale panafricaine lance une mission sur une planète habitable. Rencontre avec un incurable optimiste.
Jean-Pascal Zadi a faim. Au milieu d’une journée de promo marathon, il commande un club-sandwich avec frites et mayonnaise. Depuis Tout simplement noir, faux documentaire sur un militant en carton qui tente d’organiser une marche des Noirs, l’acteur et réalisateur a fait du chemin. Après le succès de sa série En place, l’ascension fulgurante d’un éducateur des quartiers populaires élu président de la République, il revient avec le Grand Déplacement, une comédie écologiste, féministe et décoloniale, qui moque le racisme, y compris intracommunautaire.
En Côte d’Ivoire, une agence spatiale panafricaine prépare une mission pour aller explorer Nardal, une planète habitable qui pourrait servir de plan B si la Terre devenait hostile. Mais les membres du futur équipage, issus du continent et de la diaspora, ont bien du mal à s’entendre. Devant la caméra et (bien) entouré de Fadily Camara, Fary, Reda Kateb et Claudia Tagbo, Jean-Pascal Zadi incarne Pierre Blé, un ingénieur français d’origine ivoirienne bourré de défauts qui prend la tête de la mission.
Était-ce un vieux rêve de réaliser un film qui se déroule dans l’espace ?
Le Grand Déplacement est le film que j’aurais rêvé de voir ado. Quand on regarde un film de science-fiction, c’est toujours Bruce Willis qui va sauver New York, ou Matthew McConaughey qui sort du Texas. J’avais envie d’ancrer cet univers dans l’Afrique contemporaine, avec une quête écologique. À 15 ans, j’aurais vu ce film dix fois au cinéma. Quand je me suis lancé dans l’écriture, c’était vraiment excitant de tout créer : vaisseaux, décors, costumes, base spatiale…
Je voulais m’éloigner de ce qu’on connaissait déjà, de Star Wars, d’Alien… Dans les codes couleurs du vaisseau, tout est chaud, à l’inverse de ce qui se fait dans les films de science-fiction. Tout simplement noir et En place sont réalistes, presque de faux documentaires. Cette fois, j’ai voulu ancrer le film dans le cinéma, avec une mise en scène élaborée, des effets spéciaux. Je suis sorti de mes facilités.
Le titre est-il un tacle à la théorie du grand remplacement mise en avant par l’extrême droite ?
Oui, je l’assume clairement. Le grand déplacement, ce sont les mouvements à effectuer dans la société, et non pas cette idée véhiculée par Musk, la Nasa ou encore Jeff Bezos selon laquelle l’humanité serait mieux sur une autre planète. Je suis persuadé que tout est ici, sur Terre. C’est à nous de prendre soin de cette si belle planète.
Quelle est pour vous l’importance du panafricanisme, qui sous-tend la mission spatiale dans le film ?
Idéologiquement, pour moi, le panafricanisme est central. C’est un rêve grandiose qui doit encore franchir beaucoup d’étapes. Mais je voulais poser cette pierre, montrer qu’on peut le faire si on est ensemble, si on communique. Je l’ai poussée à l’extrême en invoquant les États-Unis d’Afrique, avec ce drapeau américain transformé aux couleurs de l’Afrique. Michel Hazanavicius me disait que le cinéma, c’est soit le monde qu’on décrit, qu’on vit, soit celui qu’on espère. le Grand Déplacement montre le monde que j’espère : une Afrique unie, qui essaie de réaliser un grand projet. On peut transposer cette idée à la France, l’Europe, à la planète entière.
Pierre Blé, le personnage que vous jouez, est un Français d’origine ivoirienne chargé de préjugés. Comment l’avez-vous écrit ?
J’aime l’idée du gars qui n’a pas un mauvais fond, mais a un problème de timing. Quand il dit les choses, ce n’est pas le bon moment ni le bon endroit. Il ne connaît pas les sujets qu’il aborde, mais donne son avis. Il a beaucoup de comportements racistes, sexistes, homophobes, grossophobes. Mais je fais bien la différence entre quelqu’un qui croit vraiment à la hiérarchie entre les peuples et quelqu’un qui peut avoir une remarque raciste. C’est mon comique à moi : montrer la bêtise et l’absurdité des choses.
Comme vous, il est d’origine ivoirienne, mais il ne connaît ni la culture ni la langue du pays. Quel est votre lien avec la Côte d’Ivoire ?
Je me sens ivoirien car mes parents m’ont transmis la culture, ils nous ont même parlé la langue donc je comprends des bribes. Mais quand je suis en Côte d’Ivoire, je vois bien que je suis français. J’avais envie d’en rire. Dans cette mission spatiale, il n’y aurait soi-disant que des Africains juste parce qu’ils sont noirs, mais mon personnage n’a rien d’africain, même idéologiquement, il ne connaît rien. Comme dans Tout simplement noir, j’essaie de montrer qu’il ne suffit pas d’être noirs et africains pour s’entendre et gommer les spécificités de chacun.
Pierre Blé est le nom de votre grand-père, qui était-il ?
Mon grand-père est un tirailleur qui a débarqué en France pendant la Seconde Guerre mondiale. Je mets sa photo dans toutes mes œuvres. Il fait le lien entre l’histoire de la Côte d’Ivoire et la France. Avec la multiplication des discours de repli, il est utile de rappeler que notre présence n’est pas un hasard, que l’histoire de la France et de l’Afrique est mêlée. Cette image de mon grand-père, à côté de moi, me rassure.
Le film fait référence aux penseurs de la négritude et aux figures de l’émancipation : les sœurs Nardal, Frantz Fanon, Cheikh Anta Diop… Quelle est pour vous l’importance de cet arrière-plan intellectuel et historique ?
Il compose tout ce que je suis. Je me suis beaucoup intéressé à la culture afro, à la culture de mes ancêtres, à la culture noire. La mission s’appelle la « Black Star Line », c‘est la compagnie que Marcus Garvey avait créée aux États-Unis au début du XXe siècle pour renvoyer tous les Noirs américains en Afrique. Finalement, le projet a été saboté par la CIA. La station orbitale s’appelle « Batouala », le titre du premier roman de René Maran, lauréat du prix Goncourt en 1921. J’aime mettre des références pour installer le film dans la réalité que j’ai envie de construire.
Avez-vous reçu une éducation politique ?
J’ai eu une éducation très politique. Mes parents étaient engagés à fond au Parti socialiste. Mais, en même temps, ils nous expliquaient, avec mes frères et sœurs, qu’on était des Africains, qu’on devait être fiers, ils nous montraient des films, nous parlaient d’auteurs… C’était l’époque des gâteaux Bamboula, dans les publicités à la télévision, on voyait des Noirs déguisés en cannibales. J’ai baigné dans cette fierté d’être africain à une époque où ce n’était pas évident d’affirmer son africanité. Ils voulaient tellement qu’on s’intègre qu’ils s’y sont un peu perdus, et ne nous ont pas tout transmis.
Le film s’appuie sur votre bande d’acteurs. Avez-vous besoin du collectif ?
Je suis issu d’une famille nombreuse, avec neuf frères et sœurs. L’effet de groupe et de troupe a toujours fait partie de ma construction. Je ne pouvais pas concevoir d’entrer dans ce métier sans me choisir une famille et m’entourer de gens sur qui je peux compter.
Avez-vous le sentiment que le cinéma français est plus inclusif qu’avant ?
Oui. La sortie de Zion, le succès de Sinners ne sont pas anodins. Mais la réalité, c’est que le cinéma est une industrie. Il faut faire des entrées pour perdurer dans ce milieu. Ce que j’aimerais, c’est qu’on n’attende pas que moi ou d’autres réalisateurs fassions des films pour que des Noirs aient des rôles principaux. Il faut que d’autres le fassent. L’évolution est un peu lente, mais je sais que ça va arriver. Je suis d’un naturel optimiste.