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L’agitprop d’Act Up mise en scène et en drame

En mai dernier, la Croisette vibrait au rythme des “120 battements par minute” du cinéaste Robin Campillo, film-cri de rage sur l’émergence du mouvement anti-sida Act Up. Le retour du cinéma politique avec un drame brûlant.

Cent-vingt battements par minutes, c’est le tempo de la house-music. Cette musique de danse funky a peu à peu remplacé le disco dans les années 1980. Elle fut emblématique de la mouvance gay, caractérisée par son insouciance festive et son hédonisme flamboyant, qui fut foudroyée par l’irruption du sida aux Etats Unis, puis partout dans le monde, à partir de 1981. Une maladie mortelle, taxée (à tort) de “cancer homosexuel” par la société bien-pensante, qui s’efforcera de cacher sous le tapis cette affection honteuse, jusqu’à l’entrée en scène de groupes d’activistes indépendants se dédiant à la lutte contre ce fléau. Notamment Act Up, d’abord aux Etats Unis dès 1987 puis en France à partir de 1989, dont les interventions radicales ressemblaient à ce qu’avait initié Greenpeace dix ans plus tôt dans le domaine de l’écologie.

Cent-vingt battements par minutes, cela peut aussi être le rythme des palpitations des premiers spectateurs bouleversés par le film à Cannes où, pressenti par beaucoup pour la Palme d’or, il sera coiffé au poteau par une œuvre suédoise.

Il est reparti avec un joli lot de consolation, le Grand Prix, qui a fait figure de consécration, voire de triomphe, pour Robin Campillo, longtemps scénariste pour d’autres, réalisateur de seulement trois films en treize ans, après son coup d’éclat des Revenants ayant inspiré une série télé à succès, puis le plus confidentiel Eastern Boys.

L’histoire d’Act Up vue par un de ses membres Ce film politique doublé d’un drame poignant, est sans doute l’œuvre la plus personnelle de Campillo en raison de son aspect autobiographique. Il fut en effet gay militant et membre d’Act Up dans les années 1990. Sans se représenter lui-même et en transposant (à peine) la réalité dans le film, Campillo fait mouche sur deux tableaux : le politique (le collectif) et l’intime (le drame).

Le film se déploie comme une plongée progressive dans un groupe, progressant jusqu’au cœur de ses membres, puis aboutissant à la mort d’un d’entre eux. D’abord, c’est une vision presque extérieure : on voit des jeunes militants intégrant Act Up Paris, qui sont briefés lors d’une AG de l’association dans un amphithéâtre — lieu des débats collectifs animés où l’on définit les mots d’ordre et où l’on décide des “zaps” (actions choc pour faire connaître les dangers de la maladie et les carences des autorités de tutelle).

Les débats sont menés par l’incisif Thibault (Antoine Reinartz), inspiré de Didier Lestrade, l’un des fondateurs d’Act Up-Paris, et par Sophie (Adèle Haenel). Ensuite, au sein du collectif, lors des actions — dont l’une des plus spectaculaires est l’attaque du laboratoire (fictif) Melton-Pharm qui refuse de communiquer les résultats de sa recherche sur les antiprotéases (première parade médicamenteuse contre la progression du VIH) —, vont se dessiner des individualités marquantes. En particulier Sean, jeune homo étranger et figure presque christique, incarné avec fougue par Nahuel Pérez Biscayart. La révélation du film.

De l’action politique au drame déchirant De loin en loin, des scènes de danse en boîte rappellent l’origine festive de cette jeunesse gaie. Puis le récit se focalise progressivement sur l’histoire d’amour entre le discret Nathan et l’exubérant Sean, Gavroche d’Act Up, sur un mode tendre et pudique, avant d’aboutir à la mort de celui-ci. Les scènes qui accompagnent cette fin annoncée et lui succèdent sont sans doute les plus belles du film (euthanasie douce d’un naturel désarmant ; scène de sexe comme exorcisme de la mort ; communion entre la mère et les amis de Sean).

On sera ainsi passé insensiblement de la lumière crue de l’amphi et des altercations enflammées des militants d’Act Up-Paris, aux échanges sotto voce dans l’appartement sombre de Nathan. Autant Campillo aura fait revivre sur un mode reportage (tournage à plusieurs caméras, filmage un peu brouillon) le rôle de ces militants pour une prophylaxie vitale et réveillé le sens du collectif et de l’engagement, autant il aura su dépeindre de l’intérieur la souffrance et l’enfer vécus par les victimes d’une maladie aussi honnie qu’implacable. Un film vrai, sobre et essentiel. Un sans faute.

Publié par l'Humanité.fr

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