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Cinéma : Il était une fois dans le Nord, trois calamités

Rebelles d'Allan Mauduit. Un film qui dynamite comédie sociale, polar et western avec à la manœuvre des actrices de grande classe.

Manteau panthère et top python, cocard assorti, Sandra (Cécile de France) ne fait pas dans la dentelle. Elle sort du bois en roulant ses bagages. Ils pourraient bien contenir ce qu’elle a sauvé de son existence dans le sud du pays et d’un mari violent. Pas de quoi baisser les yeux. Ceux de maman, du fond de leur déception, n’en attendaient pas moins des succès de sa fille, qui revient dans le mobile home incrusté à Boulogne-sur-Mer.

L’employé de Pôle emploi n’est pas immédiatement convaincu de l’employabilité d’une ex-danseuse de pole dance, ex-miss Nord-Pas-de-Calais en 2005, aussi déterminée soit-elle à reprendre la barre. Ici, le boulot, c’est l’usine. Une succession de ­séquences bien cadrées dévide tous les engrenages du travail de la conserverie locale, du foisonnement des marées en déversement perpétuel, aux boîtes estampillées. Entre les deux, la chaîne et ses maillons, ouvrières à bagout et tenues imperméables style méduse. Marilyn et Nadine (Audrey Lamy et Yolande Moreau) offrent à Sandra un accueil solidaire et goguenard. Cette dernière ne manque pas de répondant.

Répliques hilarantes et loufoquerie foutraque

Parvenu à la première pause-clope, le spectateur, sauf constipation sociale ­aggravée, a fraternisé. Tout ce paysage est agencé avec ses perspectives. « Bienvenue chez les pauvres ! » avait persiflé la mère de Sandra sous ses bigoudis chauffants. Pas misérable, mais Marilyn ne sait pas comment financer la levée d’écrou de sa voiture en rade chez le garagiste.

Nadine se paie des huissiers au seuil du pavillon qu’elle occupe avec son mari et ses deux fils. L’horizon de Sandra tient dans une valise. Derrière les masques de la clownerie, elles en prennent plein le portrait. Par le truchement de répliques hilarantes, ciselées avec la complicité de Jérémie Guez, portées par trois actrices détonnantes, des seconds rôles au poil à gratter, le réalisateur Allan Mauduit remporte le défi de la comédie sociale. Sans réinventer le genre, trop peu prisé de nos jours autrement que par certaines farces visant à ce que riment « grossière » et « populaire », il l’ennoblit de loufoquerie foutraque.

Ça part dans tous les sens d’un fusil à tirer dans les coins avec, à la queue de détente, trois femmes d’aplomb, produit non conforme des aliénations. Trois femmes qui ne l’envoient pas dire. Et ne comprennent pas ce qui est incompréhensible dans les trois lettres du mot « non », alors que même à l’envers, ça marche. Ainsi, par exemple, de Jean-Mi (Patrick Ridremont), petit chef bellâtre et cauteleux qui ne se refuse pas d’exercer dans les vestiaires un droit de cuissage inscrit dans son dérèglement intérieur. C’est là que, depuis un casier métallique, tout va s’éparpiller façon puzzle, polar et western boulonnais, tragédie des filiations et film de gang. Belge. Les références au Kill Bill de Tarantino sont revendiquées.

Le choix précis des moments musicaux contribue à l’attester. On évoque souvent les noms d’oiseaux pour se voler dans les plumes, ceux des espèces aquatiques conviennent aussi très bien. Comme dans le récent film de Denys ­Arcand, la Chute de l’Empire américain (voir notre édition du 20 février), un gros, très gros sac de biftons va ouvrir les bondes. Coïncidence de notre temps. Peu probable que le magot provienne d’une épargne patiemment constituée à la sueur d’un front laborieux. Lorsque abandonné, aux regrets éternels de son possesseur, il s’offre à la tentation de nos trois comparses, elles ne montreront aucun sens du péché. Justement, la sueur, elles en ont ras le front, la frange et le reste.

L’escalade de péripéties qui s’ensuivra n’est pas à raconter. Cet argent était censé faire le bonheur de braves trafiquants par l’intercession de leur agent local, Simon (Simon Abkarian, qui revêt le rôle à l’instar d’une seconde peau). Pas qu’il soit foncièrement méchant, mais le métier exige beaucoup. Il n’est pas tendre non plus pour le mal nommé inspecteur Digne (Samuel Jouy), franc comme une planche de faussaire. On ajoute à ce lot tout un banc de malfrats tarés sur plusieurs générations, l’époux mou du genou de Nadine et on se dit que, heureusement, les femmes en ont… de la chance. Elles feront fumer les flingues, fossoyer les pelles, même le bétail n’est pas à l’abri. Ni l’antenne du Secours pop’. Elles resteront hautement rebelles à toute domestication, sachant naturellement que le sang disparaît parfaitement au lavage.

Rebelles d'Allan Mauduit. France, 1 h 27

Dominique Widemann l'Humanité

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