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Bacurau, un somptueux appel à la résistance

Bacurau, Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles Brésil-France, 2 h 10
Dans un futur proche, les habitants d’un village du Nordeste brésilien résistent à leurs agresseurs. Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles mêlent la fable sociale, le western et la science-fiction. Dérangeant.

Sophie Joubert, l'Humanité

«D ’ici quelques années », dans le Sertao, une région reculée du Nordeste brésilien. Sur un long ruban d’asphalte qui file à travers la nature luxuriante, roule un camion-citerne. À son bord, le conducteur et une passagère en blouse blanche, Teresa. Elle rentre à Bacurau, son village natal, pour assister à l’enterrement de sa grand-mère, Carmelita. Très vite, ils dépassent des cercueils en bois verni tombés d’un véhicule, puis un corps ensanglanté qui gît sur le bord de la route. « C’est le deuxième cadavre que je vois aujourd’hui », dira Teresa (Barbara Colen) lors de la cérémonie funèbre pour laquelle tous les villageois sont rassemblés. Un deuil collectif, un moment de partage et de douceur, étrangement troublé par la colère de Domingas (magnifique Sonia Braga), médecin, qui s’en prend à la défunte sans raison apparente. Le lendemain, le village a disparu des GPS, remplacé par une zone blanche sur la tablette que montre l’instituteur à ses élèves. Quelque temps après, des drones aux allures de soucoupes volantes survolent la région tandis que deux motards aux combinaisons bariolées font régner la terreur. Pourquoi Bacurau, un paisible village du Sertao, est-il devenu la cible de mystérieux envahisseurs ?

La puissance du collectif

Dans Aquarius, Kleber Mendonça Filho filmait la résistance d’une femme seule qui refusait de quitter son immeuble, racheté par des promoteurs. Coréalisé avec le chef décorateur Juliano Dornelles, Bacurau raconte la résistance collective des habitants d’un village assailli par un groupe de fous furieux armés jusqu’aux dents. Comme les villes du Far West, Bacurau se compose d’une rue unique, l’église est transformée en débarras et le bus scolaire désaffecté est devenu une serre où prospèrent des plantes vertes. Presque une cité fantôme. Tel un cow-boy descendu de son cheval, Tony Junior, le préfet mafieux en campagne qui prive le village d’eau, débarque en 4x4 rutilant et tente d’acheter les habitants avec des vivres périmés et des médicaments. Il aura fort à faire.

Entre western et science- fiction, film de gangsters et fable sociale nourrie de légendes régionales, Bacurau oppose les habitants d’un monde pauvre et isolé aux riches citadins, à l’envahisseur américain incarné par des suprémacistes ivres de violence, embarqués par leur chef (l’effrayant Udo Kier) dans une ignoble chasse à l’homme.

Ce minuscule village incarne la solidarité, la puissance du collectif, la diversité ethnique et sexuelle. À Bacurau, prostituées et transsexuels sont des citoyens comme les autres. Pas de manichéisme naïf pourtant, ni d’idéalisation de la vie rurale, dans cette vision d’une société qui expérimente un autre modèle de démocratie en mettant tous les problèmes sur la place publique. Bacurau n’est pas un village d’Indiens ou d’irréductibles Gaulois coupé de la mondialisation.

Si les habitants manquent d’eau, de nourriture, de vaccins, ils possèdent tous des téléphones portables chinois et des armes, dont ils se serviront le moment venu, galvanisés par une puissante drogue. Chaque héros ordinaire a sa face sombre, à l’instar de Domingas, qui devient une furie quand elle a bu. Autre figure tutélaire ambiguë, Lunga, le bandit d’honneur qui se peint les ongles et porte des bijoux, est à la fois un Robin des bois et un justicier sanguinaire.

Histoire d’une vengeance, d’une lutte à mort façon Fort Alamo, Bacurau n’élude pas la violence, des deux côtés. Le sang coule à flots, les têtes tombent, mais rien n’est jamais gratuit dans cette œuvre dérangeante qui joue avec les codes du film de genre pour mieux embrasser la réalité du Brésil contemporain : la corruption, la domination des propriétaires terriens complices du pouvoir politique, les barrages meurtriers. Bacurau doit son nom à un oiseau de nuit, qu’on ne voit que rarement.

Une impression d’irréalité flotte sur le film, comme dans cette scène somptueuse et onirique où un troupeau de chevaux échappés d’un enclos déboule au grand galop, en pleine nuit, comme une apparition. Audacieux dans sa forme et son propos, le film résonne comme un appel à la révolte réjouissant et libérateur.

Sophie Joubert

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