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La vie à celles qui la cultivent

les gardiennnes 3.jpgLes Gardiennes, Xavier Beauvois. le cinéaste rend hommage au travail de la terre et à ces femmes qui durant la Grande Guerre y menaient le combat du quotidien.

C’est un bourg avec son clocher, ses toits de tuiles, sa gare sans nom de lieu. D’autres noms pourraient s’y substituer. Ceux qui furent gravés sur les monuments aux morts, certains patronymes répétés de fratries entières emportées dans la Grande Guerre. Un village de France en 1915.

La guerre nous est parvenue tout de suite. Les combats rapprochés à tirs tendus, corps à corps transpercés de baïonnettes qui abreuvent le sol de sang. Ces séquences premières composeront au film un hors-champ persistant. À l’arrière, comme on dit, les travaux paysans imposent les lois du labeur et des saisons.

les gardiennes 2.jpgÀ la ferme du Paridier, des femmes s’y dévouent. Une mère et sa fille, rompues déjà aux tâches de la terre, s’y attellent avec toutes les ressources de leurs personnalités. La besogne est rude. Solange, la fille (Laura Smet), élève de surcroît Marguerite, la fille de son mari parti au front, la mère, Hortense (Nathalie Baye), embauche Francine (Iris Bry), une jeune orpheline pleine d’allant.

Elles vont allier leurs bras et caractères sous la férule de la plus âgée, dans son rôle de doyenne et de garante des filiations. Outre le mari de Solange, les deux fils d’Hortense, Georges et Constant, ont été mobilisés (Cyril Descours et Nicolas Giraud). Le travail de la terre, magnifiquement filmé, interdit de céder à l’accablement, à l’inquiétude obsédante.

Dominique Widemann, L'Humanité

les gardiennes 1.jpgLe film embrasse le temps long de la guerre, l’éternité campagnarde des cycles de la nature, les amours et les deuils. La directrice de la photo, Caroline Champetier, élève ses lumières depuis la grande peinture.

On pense à Van Gogh reprenant les séries de Millet. Les Travaux des champs, les Quatre Heures du jour, toute l’iconographie humaniste de Millet traduite par Van Gogh dans la langue nouvelle des couleurs. De Van Gogh aussi, ces portraits de paysannes de Hollande à la palette sombre. Mais c’est bien en langage de cinéma que se disent, à peu de mots, ces Gardiennes.

La mise en scène est conforme à la belle picturalité du film. Des labours aux moissons, l’air, sûrement, sent l’humus, le bois mouillé, les blés roussis. Les hommes reviennent en permission. Ils enfouissent l’indicible. Repartent. Lâchent en viatique des vérités sourdes. Ils disent que les Allemands leur ressemblent tant. Instituteurs, ouvriers et paysans que la mort ne distingue pas. Ils disent que les prières ne servent à rien. À l’église des Requiem, le chagrin salit la clarté du jour, alourdit le noir des crêpes.

Xavier Beauvois travaille le vivant. Ses personnages relèvent de cette volonté. Ils ne sont pas encagés dans l’archétype ni portés des seules valeurs symboliques.

Derrière sa charrue, Hortense ploie d’épuisement, se redresse à force d’âme. Le chagrin la terrasse. Son vieux frère Henri (Gilbert Bonneau), que la souffrance effare, ne trouve qu’à rouler indéfiniment ses gros doigts dans l’une des séquences les plus impressionnantes du film.

À d’autres moments la lumière coule d’or sur les jeunes femmes laissées seules mettre le blé en gerbes. Un certain violet ombre le corps nu de Francine à sa toilette. Figure de tendresse jusqu’au point de rupture, ses amours avec François, les lettres qu’ils échangent passent comme des souffles de vie. Elle rencontrera sa chanson. Solange affirme le désir. Si Hortense peut s’effacer devant ces mœurs plus libres, accueillir les machines agricoles qui soulagent, aimer hors des liens du sang, elle ne pourra capituler dans le combat ancestral pour transmettre la terre en vertu du cadastre familial. Les hommes reviendront. Et le vieux monde. De nouvelles cadences, et une autre guerre.

Les Gardiennes, Xavier Beauvois. France, 2 h 14

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