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Deux filles sans toit ni loi sur la route des migrants

Djam Tony Gatlif France, 1 h 37
Tony Gatlif continue d’explorer l’exil dans un road movie inspiré par le rébétiko, musique traditionnelle grecque et turque.

Djam est libre, brusque, imprévisible. Elle parle toute seule, ne porte jamais de culotte et danse jusqu’à s’étourdir sur des sons qui n’existent que dans sa tête. Fille d’une chanteuse de rébétiko, morte en exil en France, elle a reçu en héritage cette musique traditionnelle à la fois grecque et turque, née dans les bas-fonds d’Athènes et de Thessalonique et diffusée danse les îles par les Grecs chassés de ­Turquie. Djam (Daphné Patakia) vit à Lesbos, l’île désormais hérissée de grillages où, ces dernières années, des centaines de migrants ont tenté d’accoster. Quand Kakourgos (Simon Abkarian, très juste), le compagnon de sa mère, lui demande de partir en Turquie pour faire réparer la bielle de son antique bateau, elle embarque sur un ferry avec, dans son sac à dos, un baglama, l’instrument qu’elle ne quitte jamais.

Une Grèce rurale et déserte, ravagée par la crise

djam.jpgC’est le début d’un road-movie comme les aime Tony Gatlif, cinéaste de l’errance, de la révolte et de la mélancolie. À Istanbul, Djam croise Avril, une Française paumée, venue faire du bénévolat à la frontière syrienne. Sans argent, ne parlant que le français, elle s’accroche à Djam. Les deux jeunes femmes sans toit ni loi entament le périple buissonnier qui va les ramener à Mytilène, la capitale de Lesbos. Entre disputes et fous rires arrosés à l’ouzo, elles traversent à pied une Grèce rurale et déserte, ravagée par la crise, celle qu’on ne voit jamais sur les cartes postales. Leur route suit celle des migrants qui marchent d’Istanbul à Erdine, dont on repère à chaque étape les traces fantomatiques : un graffiti, un brasier éteint sur une voie ferrée, des barques éventrées et des montagnes de gilets de sauvetage échoués sur la plage de Lesbos. Foutraque et généreux, peuplé de rencontres brèves et improbables, Djam est le film de tous les exils. Celui de ces Syriens invisibles et celui des Grecs appauvris, asphyxiés par les banques. Ceux, plus anciens, des Algériens et des boat people. Les villages sont déserts, les gares fermées à cause de la grève générale, un homme menace de s’enterrer vivant après avoir été exproprié. Le pays a froid et vit au ralenti. Reste le rébétiko, chant réconfortant et subversif, interdit en Grèce par le régime des colonels.

Le partage et le mélange des cultures

« Il faut pisser sur la tombe de ceux qui interdisent la musique et la liberté », dit Djam en urinant sur la tombe de son grand-père, policier au service des fascistes. Comédienne grecque élevée en Belgique, Daphné Patakia est la révélation du film. Garçonne et féminine, elle chante, joue du baglama, quitte ses habits d’homme pour un costume de danseuse du ventre. Face à elle, Maryne Cayon prête son visage hors du temps et son corps miniature à Avril, post-adolescente fascinée par l’indépendance de Djam.

Musique orientale et occidentale, le rébétiko porte le partage et le mélange des cultures, auquel est si attaché Tony Gatlif. « Qu’est-ce que ça peut te faire d’où je viens ? » disent les paroles d’une chanson. Djam est grecque et parle français. Avril a la banlieue pour seule origine et se laisse happer par la culture grecque. Capitaine d’un rafiot longtemps resté à quai, Kakourgos porte sur son visage toute la douleur des déracinés. Dépouillé de ses biens, il prendra la mer avec d’autres naufragés de la crise, en route vers la liberté. À Lesbos, l’un de ses vieux amis se nomme Odysseus, ce n’est sûrement pas un hasard. S. J.

Sophie Joubert, l'Humanité

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